Petits souvenirs d’un borziatnik

 

Extraits d’un récit « Petits souvenirs d’un borziatnik » par V.F. Péléchevski, publié dans la «Revue de chasse» en janvier 1876. Le nom et prénom du général cités dans le récit ne sont pas précisés, mais il s’agit très certainement du célèbre éleveur de barzoïs, le général Alexander Vasilievitch Jikharev (1790-1881), vivant au village Krasnosélié, dans  la région de Tambov.

« Dans la région où habite l’auteur de ces mémoires, vivait un chasseur, vétéran de la chasse à l’ancienne – le Général J.A.V. (1). Ce vénérable avait atteint l’âge de 68 ans depuis belle lurette, ce qui ne l’empêchait pas, durant la période de chasse, de rester tous les jours en selle de 7 heures du matin jusqu’à 5-6 heures du soir. Chasseur dans l’âme cet honorable vieillard renvoyait l’image tutélaire du dernier des mohicans, comme ceux de la fin des années 60 (2), alors que les autres chasseurs de sa génération avaient rendu les armes, réalisant qu’ils ne pouvaient plus assouvir leur passion. Le Général était un célibataire endurci, il avait une belle propriété dans la région de T., un élevage de chevaux de selle et de trotteurs de haute qualité, ainsi qu’un chenil de chasse. Jusqu’à 100 chiens courants et autant de barzoïs qui faisaient la joie et le bonheur du Général.

Quelle que soit la météo, le Général avait le compte-rendu de tout ce qui se passait au chenil. Le vieillard, vêtu d’une robe de chambre en fourrure de renard allait, comme au travail, voir si tout allait bien au chenil. Tous les gens travaillant au chenil étaient ses anciens serfs, tout le monde l’aimait et se pliait en quatre pour le servir, car il était avant tout un homme de cœur.

Trois types de barzoïs faisaient la fierté du Général, et sans prétention il y en avait de quoi être fier ! Les trois types étaient travaillés très soigneusement pour éviter les mélanges. Les krymki étaient gigantesques, d’excellente constitution, le poil soyeux, ils étaient particulièrement rapides et endurants, mais ne prenaient pas le loup. Les Gustopsovy (au poil dense) – très grands, soigneusement élevés et entraînés, agressifs et puissants, étaient rapides comme l’éclair, mais pas du tout endurants. Le troisième type, les kourtinki. Ils avaient des points communs avec les kalmuks à part la psovina (3) : le large poitrail et la croupe aussi large et solide parlaient de l’endurance de ces chiens. En effet, ils étaient irremplaçables sur le loup.

Le Général était un amateur averti, il était quasiment impossible d’obtenir un chiot de chez lui, ou alors, en guise d’attention spéciale, il pouvait céder un vieux mâle édenté pour améliorer le cheptel. Le vieil homme avait peur que quelqu’un le devance dans la sélection. Avant la mise-bas la femelle était emmenée dans les appartements du général, il y avait une partie d’habitation spécialement dédiée à ça. Chaque chiot de la portée était examiné par le général en personne, ensuite il en choisissait une paire et les autres étaient noyés dans une bassine sous sa surveillance. Le Général ne se trompait jamais dans son choix. Il était très généreux avec ses gens mais n’aurait jamais pardonné la tromperie, s’il apprenait que quelqu’un osait passer un de ses chiots à quelqu’un d’autre sans son accord. Les serviteurs appréciaient de travailler chez le Général et le soudoiement était impossible. La seule contrebande pratiquée de temps en temps c’était des saillies secrètes avec les mâles du général, et même ça, ça se passait très rarement et coûtait très cher.

Trois ou quatre des meilleurs spécimens vivaient en permanence dans les appartements du général. Ceux-là avaient le droit absolument à tout. Quand le général recevait chez lui, généreux de nature, il pouvait permettre tout à ses invités sauf quand on était malveillant envers les chiens. Mais puisque les chiens n’étaient pas très commodes et regardaient sévèrement, les invités ne cherchaient pas d’embrouille.

Le 30 septembre, le Général fêtait son anniversaire avec beaucoup d’invités-chasseurs et la fête se faisait en grand, à la façon célibataire. Il y avait les courses des chevaux, le gibier était préparé en nombre pour le « sadki » (4) ; chaque invité se sentait comme chez lui, la plupart restaient dormir chez le Général et le lendemain tout le monde partait en expédition de chasse, loin dans les autres régions avoisinantes, chassait partout où il était possible, et on rentrait chez soi avec tous ses trophées seulement le 1er novembre.

La monture du Général était un vieux cheval de son élevage, calme et sûr. Le général n’allait plus trop vite, en revanche son garçon d’étrier âgé de 17 ans s’adonnait à la course effrénée à cœur joie. Les chasseurs, une douzaine de personnes environ, montaient les magnifiques chevaux gris venant de chez le Général et se répartissaient dans les champs.

Les personnes accompagnant les chiens de chasse à courre montaient les chevaux kirghizs. Chaque chasseur avait deux chevaux ; comme ça les chevaux se reposaient un jour sur deux. Les chiens aussi se divisaient en deux groupes. Seuls les hommes n’avaient aucun jour de répit, sauf  si la météo était mauvaise. Le convoi se constituait d’une quarantaine de chevaux, d’un fourgon vétérinaire, de deux fourgons avec l’avoine pour les chiens au cas où il serait impossible de trouver de l’avoine sur place, d’un fourgon cuisine, et d’un équipage léger attelé par une troïka pour le général, qui, dans les rares cas où il était un peu fatigué, descendait de son cheval.

A chaque fois que le convoi changeait de village, l’intendant du général le précédait d’un jour afin de préparer l’arrivée du convoi. Il réservait deux maisons pour tout le monde, préparait l’avoine pour les chiens et 4-5 chevaux destinés à leur nourriture (5). Tous les chiens surtout les courants, avaient une portion de viande. Il préparait aussi l’arrivée des hommes et des chevaux. Parfois, si le gibier était abondant dans les environs, le convoi pouvait rester dans le même village pendant 3-4 jours ; parfois il ne restait qu’une seule nuit et se déplaçait vers un autre village. Les chasseurs le rejoignaient après la journée dans les champs. On lavait les pattes des chiens et les badigeonnait de lard, les couchait dans de la paille dans une grange, les nourrissait à volonté et on les laissait se reposer le lendemain. Il est évident que grâce à des soins pareils les chiens étaient toujours forts et frais. Le garçon d’étrier, Sachka, s’occupait de la svora personnelle du général. Il les nettoyait et les brossait tous les soirs. Quelle que soit la fatigue du général, il allait toujours voir les chiens le soir à l’heure du repas.

Une fois lors de nos discussions entre chasseurs, je lui avais demandé :
– Dites moi, Alexander Vasilievitch, vos expéditions annuelles vous coûtent cher ?
– Chez moi c’est une règle incontournable me répondit-il : je mets de coté 4000 roubles avant le 1er septembre, et ça suffit largement pour la sortie, avant le retour début d’hiver. Pour moi, mon cher, la chasse c’est de la sarsepareille (6), le remède contre tout les maux. Grâce à la chasse, je n’ai pas besoin des docteurs, je ne connais pas d’apothicaire ni les hémorroïdes. Je ne visite pas des capitales, ni l’étranger, je suis payé 13-14 milles roubles par an et je les dépense ici, chez moi, en Russie, et pas quelque part à l’étranger. Et je suis attristé de savoir que les riches russes dépensent des fortunes à l’étranger mais ne possèdent pas de chasse… »

Traduction russe – français : Elena Gerasimova

Traduction  Français – Anglais:  Linda Worthy


NDT :

  1. Dans le texte, le Général est simplement mentionné avec ses initiales.
  2. Années 1860. En 1861 abolition du servage en Russie. Progressivement beaucoup de chasses (élevages) disparaîtront, faute de moyens pour les entretenir.
  3. Psovina : la fourrure.
  4. Sadki : entrainement des chiens sur le gibier lâché (lièvre, renard ou loup).
  5. Chevaux destinés à être abattus pour pouvoir nourrir les chiens (chevaux faibles, vieux ou malades).
  6. Plante qui purifie l’organisme 

 

Year of Event:

1876

Country:

Personal Collections:

 

Source:

 

Author:

Danielle Laurent-Faure

Dogs:

 

Persons: