La Chasse de Perchino

 

 

Ci-contre : portrait, un peu caricatural du grand-duc Nicolas Nicolaïevitch. La légende en russe est la suivante :
“Son altesse impériale le grand prince Nicolas Nicolaïevitch, sur un de ses chevaux de chasse à Perchino, lors d’une épreuve sur loup (sadki) pour tester les barzoïs à la prise de la bête. Mai 1914.”


En 1887, le grand-duc Nicolas Nicolaïevitch fait l’acquisition de la propriété de Perchino située à l’ouest de la ville de Toula, à environ 200 kms de Moscou. Perchino était à ce moment-là une demeure seigneuriale délabrée que le grand-duc s’attache bien sûr à faire restaurer et à embellir, pour la rendre digne de devenir le rendez-vous de chasse qui convient à son rang.

Les chenils sont construits pour les lévriers destinés à la chasse, en même temps  que la propriété est réhabilitée, et les terres, précédemment dispersées, rachetées. Le Grand-Duc y transfère sa chasse qu’il avait précédemment commencé à reconstituer à l’automne 1887. Constituée au début de 60 barzoïs environ, cette chasse atteindra plus tard 125 à 130 barzoïs adultes.

La propriété de Perchino, en plus d’être un luxueux pavillon de chasse digne du rang social de son illustre propriétaire, est une ferme d’élevage.  On y élève non seulement des chiens, mais aussi des chevaux, bovins, porcs et volailles de différentes sortes.

Vue sur le palais de Perchino avec la piste circulaire servant à la présentation de tous les chiens par svora.

 

Le troupeau de vaches suisses, nourrices des chiots

Revenons au but poursuivi par le Grand-Duc : “Dans le but de former sa chasse (ce qui eut lieu vers la fin des années 1880), son Altesse Impériale s’appliqua à rechercher dans tous les chenils renommés de l’époque les chiens qui lui parurent réunir les qualités nécessaires pour servir à la “régénération” de l’ancien type du barzoï. Il s’agissait en effet de “régénération” car depuis nombre d’années l’ancien type du barzoï était si complètement perdu que, pour s’en faire une idée exacte, le grand-duc dut recourir aux récits et descriptions faites par nos vétérans de la chasse au barzoï, qui, dans leur jeunesse, avaient connu ces chiens et chassé avec eux“. (L’apparence générale chez le barzoï – Artem Boldareff, mai 1911).

En 1889, La Société pour l’amélioration des qualités de terrain de chiens de chasse est fondée à Saint-Pétersbourg sous la présidence du Grand-Duc. La société organise des épreuves de rapidité et d’agressivité pour l’ensemble des lévriers. Le Grand-Duc soutient cette activité et participe à ces épreuves avec ses lévriers. Tout comme il participera aux expositions de chiens de chasse de Moscou et de Saint-Pétersbourg, ou à l’étranger (par exemple à Cruft – Londres en 1892, Paris en 1895).

Dans “Chasse et Pêche” on peut lire cette anecdote : 1912 – organisée par la Société Cynégétique de Moscou, 13e exposition canine internationale de Moscou, 83 barzoïs dont des sujets de l’élevage de Perchino… “Les barzoïs du Grand-Duc, placés sur des bancs spéciaux, festonnés aux couleurs de son Altesse Impériale, avec les servants en uniforme, formaient un autre “clou” (note : du spectacle), attirant la foule des visiteurs. D’après de ce que j’apprends, Perchino n’aurait pas envoyé ses tout premiers sujets dont l’existence est trop précieuse pour les exposer aux risques toujours possible d’une exposition canine“. (Compte-rendu H. Sodenkamp, décembre 1912).

A Perchino, les barzoïs adultes (sans tenir compte des chenils consacrés aux mères et aux chiots) sont répartis en 9 chenils et les chiens y sont rassemblés d’après leur robe. Les couleurs vont du bringé foncé au blanc (il y eut rarement des barzoïs noirs à Perchino).

Maison de l’administrateur de la chasse et cour pour les chiens de la svora “personnelle”. Au premier plan les femelles barzoï, au deuxième plan, les mâles barzoï.

Les chiens composant les laisses des chasseurs sont divisés en huit groupes, chacun logé dans un chenil à part. Deux chasseurs et un garçon de chenil, préposés aux soins des chiens du groupe, habitent un logement attenant au chenil ; ainsi, ils ont leurs élèves constamment sous les yeux, précaution qui n’est pas superflue, vu le caractère batailleur de certains individus. Tous ces chenils sont en communication directe avec un vaste préau gazonné entouré d’une grille en fil de fer, où les différents groupes sont introduits à tour de rôle et peuvent prendre leurs ébats sous l’oeil vigilant du personnel pendant deux heures de suite, ceci journellement.
Les chiens sont classés en groupes conformément à la couleur de leur poil. Ainsi il y a un groupe composé de chiens gris, un autre de chiens bruns, un troisième de chiens blancs à taches jaunes, et ainsi de suite.

A une certaine distance  des huit chenils dont j’ai parlé, est situé celui où sont installés les barzoïs de la laisse particulière de Son Altesse Impériale. Il est divisé en deux parties, l’une pour les chiens, l’autre pour les chiennes. La laisse est composée de près de 30 individus, choisis personnellement par le grand-duc parmi les meilleurs exemplaires de la chasse ; aussi en présentent-ils, pour ainsi dire, la quintessence.
Ces chiens provenant  à peu près de tous les groupes, toutes les robes y sont plus ou moins représentées. Pourtant, il s’en trouve toujours au moins trois ayant robe pareille, ce qui permet à son Altesse de tenir en laisse, au moment de la chasse, des chiens de la même couleur, élégance suprême du chasseur aux barzoïs, mais à laquelle, hélas ! bien peu de chasseurs modernes peuvent aspirer.
En dehors des barzoïs, le grand-duc  possède quelques exemplaires de marque de lévriers anglais, qu’il aime faire concourir dans des courses aux lièvres. Il les prend de même à la chasse, aimant à comparer la rapidité de ses barzoïs avec la leur. Du reste, on en élève pas à Perchino, Son Altesse se contentant d’en faire venir au besoin d’Angleterre”.
(Aperçu historique de la chasse aux barzoïs – Artem Boldareff, avril 1912)

Tous les ans à l’automne lors de son séjour à Perchino, le Grand-duc établit la liste des saillies à réaliser en utilisant toujours des reproducteurs ayant fait leurs preuves à la chasse.

Les chiens sont soigneusement entretenus et maintenus en condition en fonction de la période de l’année. Ils sont aussi sortis à la chasse en alternance. Le Grand-Duc veut posséder une chasse personnelle constituée de barzoïs beaux, rapides et agressifs.

Naturellement, les sujets qui ne  donnent pas suffisamment satisfaction ou ne présentent plus d’utilité sont disponibles à la vente. On peut se procurer à Perchino des barzoïs de qualités diverses (tout est une question de prix) et une brochure sur l’élevage est fournie sur simple demande.

Perchino reçoit tous les ans une affluence considérable d’amateurs de barzoïs qui viennent assister aux ventes publiques (note = vente aux enchères) du mois de mai-juin ainsi qu’aux courses publiques préalables de lévriers russes. Nous voilà donc loin des ventes exclusivement consenties pour des motifs de courtoisie ou de faveur spéciale. Il est tout naturel qu’un important élevage comme celui de Perchino écoule ce qu’il ne désire pas conserver. Cela se fait dans tous les élevages, même quand ils appartiennent à des têtes couronnées comme feu la reine Victoria, le roi Edouard VII ou S.A.I. le grand-duc Nicolas“. (H. Sodemkamp, janvier 1904).
______________________________________________________________

Exemple de proposition … Courrier à l’en-tête de : “Département de gestion des terres et chasses de Perchino de son Altesse Impériales grand-duc Nicolas Nicolaïevitch” adressé à un M. Cassius (France). Courrier tapé à la machine en russe et écrit manuscritement en français.

Exemple de proposition …

Courrier à l’en-tête de : “Département de gestion des terres et chasses de Perchino de son Altesse Impériales grand-duc Nicolas Nicolaïevitch” adressé à un M. Cassius (France).
Courrier tapé à la machine en russe et écrit manuscritement en français.

En réponse à votre lettre j’ai l’honneur de vous informer que si vous désirez avoir des photos des chiens (borzoy) celles-ci vont vous coûter frs 1000 / mille francs. Comme vous avez une sérieusement intention d’acheter un chien, il sera beaucoup plus mieux pour vous d’arriver personnellement pour en choisir un à votre goût. Un pareil chien que vous désirez acheter vous coûtera depuis 5000 à 10000 francs.
Agréez Monsieur l’assurance de mon dévouement.
Le gérant de la propriété.

______________________________________________________________

Instant de détente : le général Dimitri Waltzoff, devant son chevalet. A côté de lui le grand-duc Nicolas Nicolaïevitch (la 3e personne légèrement en arrière est inconnue) (collection Dmitri Shehavtsov)

Exemple d’utilisation de différents “vieux sangs”. Pedigree de Rasbros Perchino né le 18.05.1903, d’abord importé en France par Mme Deluce et cédé ensuite en Allemage à Mme Sievert (D.W.Z. N° 153)

La réputation de l’élevage de Perchino, parfaitement méritée, est due au savoir-faire et la science de l’élevage du grand-duc Nicolas Nicolaïevitch, qualitées reconnues et respectées de tous. Il a cette “intuition” indispensable qui lui permet de deviner un bon reproducteur dans un chien que tout autre  pourrait juger médiocre. Il sait aussi  s’entourer d’hommes compétents, comme son directeur de chenil, le général Dimitri Waltzoff, éleveur lui-même et juge apprécié de Barzoïs. A noter que, contrairement aux autres éleveurs, le grand-duc n’a pas cherché à se créer sa propre famille, il n’y a pas eu de vrai type “Perchino”. Il a plutôt été un collectionneur, et grâce à des choix judicieux, il a su réunir les meilleurs chiens des meilleures lignées.

Les Borzois de Perchino, descendants d’ancêtres à type différents, présentèrent naturellement non pas un type unique, mais plusieurs, héritant leur apparence tantôt d’une lignée ancestrale, tantôt d’une autre ; et cela n’était pas pour déplaire à leur éleveur. A l’encontre de la majorité des chasseurs russes qui tenaient avant tout à se former une équipe de borzois créés sur le même moule, le grand-duc Nicolas Nicolaïevitch appréciait tous les bons types (vraiment bons) et les conservait dans son élevage, ne s’appliquant qu’à les améliorer“. (La rubrique du lévrier – Artem Boldareff, février 1923).

La célébrité de Perchino dépasse rapidement les frontières de la Russie. Quelques éleveurs ou personnalités cynophiles de l’époque veulent voir Perchino. Ainsi, les frères Thomas (“O’Valley Farm”) font le déplacement des USA  en 1903 puis 1904 et 1911, le Dr Arthur Wegener (“Ural”), d’Allemagne, en 1906 puis 1913, M. G. Van Muylem (“de Ziezeghem”) de Belgique en 1907, et M. Alexandre Pellisson de France, par deux fois en 1913.

Tous reviennent enthousiasmés par ce qu’ils ont pu voir et en feront des récits qui seront publiés dans les gazettes ou sous forme de livre (sauf M. Van Muylem).

Dès la fin des années 1800, des “Perchino” ou issus du chenil de Perchino sont importés dans de nombreux pays.

Certaines importations seront majeures par leur influence postérieure (Bistri Perchino – 1903 par les frères Thomas ; Asmodey Perchino et Ptitschka Perchino – 1913 par le Dr Wegener).

Mais on peut noter aussi, en ne citant que des sujets produits à Perchino :
– en Allemagne : Iran Perchino (importé en 1913) par le Dr Wegener.
– en Autriche : Udaletz Perchino et Tscharodeika Perchino.
– en Belgique : Poulka Perchino ; Ugar Perchino (importé en 1907) par M. Van Muylem.
– en France : Stchegol Perchino (né en 1898) par M. Charles Cuvelier ; Rasbros Perchino par Mme Deluce, Lihodey Perchino https://borzoipedia.com/dog/709/et Bataiy Perchino importés en 1913 par M. Pellisson ; Karai X Perchino (né en 1910) et Yabeda II Perchino (née en 1913), importés en 1914 par Mme la Comtesse Greffulhe ; Tsharounia Perchino par M. Paul Roy, Zennaïa II Perchino par M. Henry Teissonnière.
– en Roumanie : Matas Perchino (né en 1912) et Astra Perchino (née en 1913), importés en juin 1914.
– en Serbie : Hvat Perchino (né en 1910), Vichr Perchino (né en 1911), Razluka Perchino (née en 1913), importés en 1914.
– aux USA : Nenagladny Perchino,  Nayada Perchino et Schalost Perchino (importés en 1904), Zyclon Perchino et Yarki Perchino (importés en 1911), toujours par les frères Thomas.

Quelques Barzoïs à Perchino … Photo de gauche : chienne bringée noire, née à Perchino en 1909 Photo du milieu : Blestka née en 1909, type de chien apprécié par le Grand-Duc Photo de droite : Korotaï et Armavir 1er (né en 1900)

Mais, en 1913, cette page de l’histoire du Barzoï est, au bout de 26 ans, sur le point de se refermer… 1914, le début de la première Guerre Mondiale… Le grand-duc est nommé généralissime des armées de terre et de mer de la Russie le 2 août 1914… Relevé de ses fonctions le 24 août 1915, il prend la direction de l’armée du Caucase… Puis il se réfugie avec ses proches dans sa propriété de Crimée en mars 1917 (à Tchaer dans les environs de Yalta) et enfin le départ définitif pour l’exil en mars 1919… Il n’y a pas de documentation trouvée sur cette période, mais on peut supposer que le Grand-Duc, en cette période cruciale de l’Histoire russe, n’eut guère le loisir de continuer à s’adonner à sa passion pour la chasse et les barzoïs, et de superviser la gestion de Perchino. Cependant, il est certain que Perchino a continué d’exister jusqu’en 1917.

Laissons la parole à Andrus Koslov : La chasse de Perchino a existé jusqu’à la fin de 1917 environ. Les archives de Perchino précisent, au 13 mars 1917 : 175 lévriers (95 barzoïs adultes, 80 chiots et 5 greyhounds) auxquels s’ajoutent les chiens courants (des harriers, avec des chiots), pour un total de 282 chiens. Cependant, en 1917, la possibilité de nourrir les chiens est devenue difficile. De plus, ils ne pouvaient plus être utilisés à la chasse et étaient rarement entraînés.
Dans le courant de l’année 1917, tous les chiens ont été vendus ou donnés. Le 26 octobre, la chasse de Perchino a été officiellement déclarée liquidée par le décret “Sur les terres”. Au 5 décembre la chasse ne comptait plus qu’un seul barzoï. Dans les années 1920, la propriété de Perchino a accueilli les écuries d’état.
Toutefois, le palais, avec les trophées de chasse, ainsi que les meubles, vaisselle, les tableaux illustrant les scènes de chasse ont été préservés. En 1919, le palais est devenu le “Musée de la chasse et de la vie des chasseurs”.
En 1926, le musée a été fermé, les objets qu’il contenait ont été transférés au musée d’Art et d’Histoire de la ville de Toula. Puis le bâtiment s’est retrouvé progressivement à l’abandon. Par la suite, les autorités ont ordonné de le démonter afin de récupérer les briques, et les morceaux de murs irrécupérables ont été jetés dans le fleuve. Aujourd’hui, il ne reste de Perchino que les fondations …”

Perchino, le nom du Grand-Duc Nicolas Nicolaïevitch Romanoff, sont restés liés à l’histoire du Barzoï, à son aura prestigieuse… Et les barzoïs de Perchino sont toujours présents dans la plupart des ancêtres lointains d’une grande partie des barzoïs actuels.

______________________________________________________________

Annexe I – composition de la meute de Perchino à son apogée :
– 100 chiens courants
– 130 barzoïs en condition de chasser
– 15 greyhounds
– 20 barzoïs plus en condition de chasser
– 100 chiots par an (60 chiots barzoïs et 40 chiots courants, pour conserver en permanence le cheptel de chasse)
En tout 365 chiens.
A laquelle, il faut ajouter : 87 chevaux (de selle et d’attelage) ; 78 employés (pour faire fonctionner l’ensemble à des degrés divers).
_____________________________________________________________

Annexe II – Petite précision :
A Perchino, beaucoup de chiens portaient le même nom. Ainsi, en ce qui concerne les importations majeures (voir plus haut), Zyclon Perchino était en réalité Zyclon II Perchino, Iran était Iran III, Asmodey était Asmodey II. Et Ptischka, Ptitschka I.
_____________________________________________________________

Auteur : Danielle Laurent-Faure

Sources :
– revues “Chasse et Pêche”
– “La Chasse de Perchino” (1887-1912) par Dimitri Waltzoff
– Notes et remarques Andrus Koslov
– Brochure sur les Archives de la ville de Toula (Polozov et Nemov, 2010). Communication Andrus Koslo
v

 

Year of Event:

1887

Country:

Personal Collections:

Source:

 

Author:

Danielle Laurent-Faure

Dogs:

 

Persons: